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Une pianiste professionnelle joue la syndicaliste

© Alliance Presse
Rien ne disposait la pianiste bernoise Silvia Harnisch à jouer les syndicalistes. La concertiste, la soixantaine alerte, a pris la défense des 253 collaborateurs de l’entreprise familiale Kartonfabrik Deisswil, qui a résisté à toutes les tempêtes durant 134 ans d’existence. L’entreprise avait été vendue au leader européen du carton Mayr-Melnhof il y a vingt ans
Christian Willi

Tout a commencé dans les premiers jours d’avril 2010. Juste après Pâques, le conseil d’administration de l’entreprise Mayr-Melnhof convoque une séance de crise. Le même jour, la région bernoise apprend par les médias que la fabrique de carton de Deisswil, en Suisse va fermer ses portes. Les collaborateurs, qui sont en vacances d’entreprise, sont sur le carreau, car la décision prend effet sur-le-champ.

Immense injustice
Lorsque Silvia Harnisch, membre de la famille fondatrice, apprend la nouvelle, son sang ne fait qu’un tour : «Le choc était immense». Devant ce qui lui apparaît comme une immense injustice, elle commence par rédiger une lettre ouverte aux dirigeants de l’entreprise, avec son frère et sa belle-sœur, dans les colonnes de la presse locale. Dans son texte, elle va jusqu’à écrire : «Comment pouvez-vous prendre une décision aussi inhumaine sans être en conflit avec votre conscience ? Un tel procédé, juste après Pâques, ne peut être béni !»

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Elle fait le pied de grue
Ce qu’elle ne sait pas, c’est que les événements vont rapidement s’enchaîner. Silvia Harnisch est présente quand les collaborateurs organisent une chaîne humaine autour de l’entreprise. Devant les cinq cents manifestants et les médias, elle prend la parole, aux côtés des syndicalistes, pour critiquer la manœuvre du groupe industriel autrichien. Impressionnés par l’engagement d’un membre de la famille fondatrice, les médias lui tendent le micro à tour de bras.
La pianiste est là aussi lorsque cent trente salariés se rendent à Vienne, à l’occasion de l’assemblée des actionnaires. 70 policiers les attendent de pied ferme. La presse autrichienne aussi. Finalement, la rencontre avec la direction se passe mal, les dirigeants autrichiens ne goûtant guère aux arguments de la délégation bernoise. La pianiste est là enfin, lorsque les plus endurants des collaborateurs manifestent sur la Place fédérale, à Berne et demandent à voir sans succès la ministre de l’Economie, Doris Leuthard.
Durant toute cette période, Silvia Harnisch dort mal la nuit en pensant aux familles jetées injustement à la rue. «J’ai prié régulièrement pour ces collaborateurs, en particulier pour ceux que je connaissais», précise l’artiste, qui n’a jamais par ailleurs travaillé dans l’entreprise familiale.

Le salut vient d’un investisseur
Le salut viendra quelques semaines plus tard par le biais d’un banquier et investisseur suisse, Hans-Ulrich Müller, qui propose de reprendre l’ensemble du personnel et l’entreprise. Son offre est acceptée, à condition que Kartonfabrik Deisswil change d’activité. «Le mérite du sauveteur de l’entreprise est énorme. Chaque collaborateur a eu la possibilité de le rencontrer pour un entretien», explique Silvia Harnisch. L’accord est conclu en juin. Pour marquer le sauvetage de l’entreprise, une fête d’entreprise est organisée le 21 août. La pianiste y interprète plusieurs morceaux de piano, notamment Schafe können sicher weiden («Les brebis peuvent paître en sécurité»). Jean-Sébastien Bach avait dédié cette pièce au duc Weissenfels parce qu’il s’était bien occupé de ses administrés. «De même le Bon Berger nous conduits à travers les vallées sombres vers de verts pâturages», ajoute en introduction Silvia Harnisch. Une citation du psaume 23, qui est son intime conviction. «Comment ne pas voir Dieu à l’œuvre dans tout ça ?», s’interroge-t-elle. «Durant ce début d’été, j’ai vraiment eu l’impression que tout a été conduit par lui.»

Un nouveau songe
Toujours cet été, la pianiste a fait un nouveau rêve : «Je voyais l’entreprise balayée d’un air purifié et rafraîchissant. Les locaux étaient jonchés de feuilles mortes dorées». Pour elle, c’est comme si l’Esprit saint avait soufflé sur l’entreprise. Les nuits apaisées de Silvia Harnisch ressemblent désormais davantage à un air paisible de Bach. Elle peut à nouveau se consacrer à sa passion première, organiser des concerts et travailler à son nouveau disque. Prévu début 2011, il contiendra entre autres des œuvres de Beethoven, de Debussy, de Liszt. Et bien sûr Schafe können sicher weiden de Jean-Sébastien Bach.

Christian Willi

SpirituElles

Article tiré du numéro SpirituElles 4-10 – Décembre-Février

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