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Seule plutôt que mal accompagnée, est-ce vraiment mieux?

© Alliance Presse
Entretien avec Nicole Deheuvels, conseillère conjugale et familiale et responsable d’un service chrétien d’accompagnement dans le célibat, «Eliézer»
Natacha Horton

On dit souvent qu’il vaut mieux être seule que mal accompagnée. Que pensez-vous de cette formule ?
Deux choses. D’une part, c’est une forme de consolation que donnent certaines personnes, souvent des couples, aux célibataires ; c’est une formule creuse, une phrase blessante. Il y a là souvent un refus d’entendre la souffrance.
Mais ce dicton est également positif quand il est vécu de l’intérieur pour supporter une situation inconfortable. Il indique qu’on se donne du temps pour un choix judicieux dans lequel on engagera sa responsabilité.

Est-ce plus difficile pour une chrétienne d’être «bien accompagnée» ?
Pour beaucoup des personnes que je rencontre, la foi a une grande importance. Elles la considèrent comme un ciment de leur futur couple et désirent partager avec un conjoint une vie de foi, de prière et d’Eglise. D’autres sont plus ouvertes et cherchent, chez leur conjoint, essentiellement de la compréhension face à leur vie spirituelle.
Cette question pose celle de l’exigence. Être trop exigeant est un reproche que l’on nous fait ou que l’on se fait fréquemment ! Il faut, dans un premier temps, rassurer. Si les critères sont d’avoir de l’attirance physique, ressentir une émotion du cœur, avoir un certain nombre d’affinités, de points communs et trouver chez l’autre un caractère qui corresponde à nos besoins, cette compatibilité est la bienvenue pour créer un couple solide. Si la personne a une liste exhaustive des qualités requises auxquelles l’autre doit parfaitement correspondre, oui, elle est trop exigeante.

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Que veut dire pour vous, être «mal accompagnée» ?
Ce serait précisément de renoncer à certains critères et de marier le premier venu. Cela arrive lorsqu’on cherche le mariage à tout prix, qu’on veut se caser, qu’on fuit la solitude. L’autre n’est pas un paravent à la solitude mais un vrai vis-à-vis. Il n’est pas une béquille non plus. Pour fonder un couple équilibré, il faut être debout soi-même, même si les difficultés sont réelles.

Certains disent qu’il y a quelque part une personne qui est faite pour nous. Qu’en pensez-vous ?
C’est le mythe du puzzle à deux pièces. C’est vrai que c’est un discours qu’on entend. Il s’appuie sur l’expérience de couples qui relisent leur histoire a posteriori, découvrant combien ils se sont harmonisés entre conjoints, combien d’éléments de leur parcours et de leurs personnalités étaient providentiels. Pour moi, il s’agit cependant d’une simplification plaisante, rassurante : il y a quelqu’un quelque part, il ne reste qu’à le découvrir.
Tout miser sur cette recherche de son unique moitié est un piège. Cela peut nous empêcher de chercher autour de nous, dans nos affinités existantes. On s’attend à ce que le Ciel envoie quelqu’un devant notre porte comme par magie. C’est possible, mais il n’est pas nécessaire que toutes les unions se construisent sur ce modèle. Il ne faut pas évincer la part humaine.
Dans ce mythe, un autre piège est de croire que dénicher la bonne personne suffit ; il n’y aurait aucun travail à faire pour se comprendre et faire durer le couple. Même si l’on a la conviction que l’autre est le «bon», cela ne justifie pas de se marier du jour au lendemain sans rien construire. Une fois mariés, le bonheur dans le couple nécessite un investissement continuel. Un amour se nourrit. Un couple se construit.
Il faut accepter de ne pas maîtriser son avenir ; seul Dieu le peut. Quand on commence une relation, on ne sait pas trop où l’on va aller.

Sur quelles promesses peut donc se reposer un célibataire qui choisit d’être seul plutôt que mal accompagné ?
Je voudrais réaffirmer plusieurs choses. La première, c’est le droit au mariage et le droit au désir. Certains sont étiquetés «célibataires heureux et confirmés». Si vous êtes veuve à cinquante ans, les autres estiment parfois que vous avez eu votre vie de couple. On a le droit d’avoir envie de rencontrer quelqu’un. C’est un désir légitime et biblique. J’aimerais ajouter qu’il n’est jamais trop tard.
D’autre part, la question de «que fait Dieu ?» est légitime. Certains font des efforts, prient et lui disent leur souffrance depuis des années. Le célibataire est aimé de Dieu. Dieu se soucie particulièrement de celles et ceux qui sont dans une situation de fragilité. On oublie que les célibataires le sont, car les couples ont accaparé l’étiquette «fragile» dans cette génération !
Jésus dit qu’il veut nous donner une vie en abondance. Cela vaut pour la vie de couple comme pour la vie en solo. S’il y a effectivement lutte, découragement, il ne s’agit pas pour autant de se borner à survivre. Comment profiter de cette vie ? Comment la développer même dans une situation qui paraît inconfortable ?

Pour ce qui est de la responsabilité personnelle, quelles sont les bonnes questions à se poser ?
Il y a certains «pourquoi» qui n’auront jamais de réponse. Cela peut être le «pourquoi je suis seule» ou «pourquoi ai-je perdu mon conjoint». Il y a également des réponses qu’on peut trouver en soi. Les différentes personnalités, histoires particulières et circonstances sociologiques sont à prendre en compte.
Lorsque j’accompagne quelqu’un, je l’aide à analyser les étapes de la rencontre : à quel moment est-il en difficulté ? Rencontre-t-il des gens ? A ce moment-là, est-il timide ou arrive-t-il à s’ouvrir à l’inconnu ? Est-il gêné du sentiment amoureux ? Le problème est-il d’avoir les outils pour construire une relation, ou encore d’assumer une vie de couple ?
Une autre manière de réfléchir à cela est d’essayer de déterminer les différentes causes d’un célibat. Qu’est-ce qui remplit ma vie à la place du couple ? Il y a parfois un immense investissement professionnel ou dans l’Eglise, de la famille à charge, etc. C’est le signe d’une vie d’abondance mais c’est aussi un cercle vicieux où l’inattendu n’a pas de place. Là, il faut se demander ce que l’on souhaite changer et si l’on est prêt à le faire.

Propos recueillis par Natacha Horton

SpirituElles

Article tiré du numéro SpirituElles 3-09 – Septembre-Novembre

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