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Mère et fille: meilleures ennemies?

Lorsque la fille passe de l’adolescence à l’âge adulte, la transition n’est pas toujours un long fleuve tranquille pour mère et fille. Qu’est-ce qui est ébranlé chez la première ? Que revendique la seconde ? Et comment opérer le virage en douceur ? Enquête
Natacha Horton

Le fameux lâcher-prise. Si un mot devait résumer l’enjeu de la transition adolescence-âge adulte pour une mère et sa fille, ce serait celui-ci. Dans la relation mère-fille cohabitent bien souvent les sentiments les plus variés. «On dit que c’est la première histoire d’amour intense et affectionnelle», commente la psychologue et médiatrice familiale Lidia Zeller, du Centre JanzTeam à Delémont. L’enjeu de cette relation : couper le cordon, permettre à la fille de prendre son envol et surmonter les crises d’un côté et de l’autre.

Besoin d’air
«Je commençais à avoir d’autres idées qu’elle sur certains sujets», confie Cléa, vingt-cinq ans. «Je ne lui demandais plus toujours son avis avant de prendre une décision ou prenais une décision contraire à ce qu’elle me conseillait», confirme Débora, vingt-six ans. Besoin d’air et d’autonomie, expliquent les jeunes femmes en se replongeant à l’époque de leur adolescence. Ce passage obligé, «c’est le temps d’affirmation de soi de la jeune fille, qui prend son autonomie affective et relationnelle», explique Lidia Zeller. Une démarcation dans les opinions et choix de vie précède toujours la prise d’indépendance plus concrète que représentent un déménagement ou l’entrée dans la vie professionnelle. «Ce temps s’accompagne aussi d’un deuil, d’un renoncement à l’enfance. Pour la fille, c’est une période lourde et complexe», continue la thérapeute.

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Mais qu’y a-t-il de si particulier à la relation mère-fille ?
Plus jeune, la fille s’identifie à sa mère, «une étape essentielle dans la construction psychique de l’enfant», souligne Lidia Zeller. Plus tard, elle doit s’éloigner de sa mère pour devenir femme. Une prise de distance qui n’est guère évidente à gérer pour une maman. «Il y a des choses qu’elles n’ont pas partagées avec moi, j’aurais aimé, je suis comme ça», confie Esther, cinquante ans, mère de trois filles adultes.
La mère sent que la fille lui échappe. «Elle sait qu’elle doit la laisser faire ses propres expériences», explique Lidia Zeller, elle-même maman de deux filles adultes. «Elle aura toujours envie de la protéger et va se faire du souci». Un sentiment confirmé par plusieurs mamans : «Il faut passer par-dessus et qu’elles sachent qu’on est là quoi qu’il se passe», confie Elizabeth cinquante-trois ans et mère de trois filles adultes.

Maman pas copine
Toutes, mères et filles, n’ont pas le sentiment de rupture. Cela se fait parfois en douceur. Dans un désir de garder la complicité s’installe une relation davantage d’adulte à adulte. Débora raconte avoir rapidement développé un échange riche avec sa mère, «une relation de vis-à-vis». Esther explique avoir toujours eu ce genre de relation avec l’une de ses filles. Si ce type de relation est l’aboutissement souhaité, Lidia Zeller met en garde contre l’envie d’être «copine» avec sa fille : «La maman ne peut avoir qu’un seul rôle et c’est celui de mère !», atteste-t-elle. Certaines filles apprécient par ailleurs cette différence : «Ma maman a essayé d’être une amie pour moi mais je crois que c’est impossible», raconte Eva, vingt-neuf ans. «Les conversations avec elle sont un privilège, je n’aime pas les alourdir de mes petits problèmes quotidiens. Elle me donne du courage comme personne d’autre», continue-t-elle.
Un autre piège guette les mamans lorsqu’elles voient leurs filles grandir : la jalousie. Pour Lidia Zeller, la concurrence est uniquement le problème de la mère, qui peut avoir peur de vieillir. Lorsqu’une mère fantasme sur la jeunesse de sa fille, cette dernière va le ressentir et avoir un sentiment de «dégoût», voyant la femme et non plus la mère. «La maman doit se réjouir pour sa fille et apprendre à profiter de son propre âge et des points positifs qu’il recèle», encourage la
psychologue.

Dialogue et confiance
Dans les défis que représente cette transition, le dialogue en est un de taille. Pour Cléa, le côté carré de sa mère au sujet des sorties l’a empêchée de parler avec honnêteté. Chez Eva, c’est la répétition de critiques ou de conseils qui lui était difficile. Lidia Zeller rappelle aux mamans que savoir mettre des mots sur les frustrations ou sentiments n’est pas inné chez une adolescente : «Il faut lui laisser la place et lui apprendre à exprimer ce qu’elle désire ou non.»
Avec le dialogue vient une qualité que mère et fille jugent indispensable : la confiance. «Elle ne contrôlait pas ma vie, mes sorties, ne posait pas de questions indiscrètes», raconte Débora, récemment sortie du nid. «Plus jeune, le cadre était qu’elle sache où j’étais et avec qui. Elle m’a appris à me responsabiliser», ajoute-t-elle.
«J’ai dû compter sur elle et sur moi pour que les choses se passent dans la confiance et le dialogue, pour que ça marche», confirme Elizabeth. Pour Lidia Zeller, il s’agit de faire confiance en accompagnant, en respectant l’âge et la maturité pour certaines décisions. Chaque chose que la fille découvre est un apprentissage de vie extraordinaire : «Essayons d’être témoins de cette découverte, de la laisser cultiver son jardin secret, sans être intrusive, de l’aider à être dans une dynamique de vie et à relativiser les échecs. Tout en restant vigilante.»

La sortie du nid
L’une des étapes les plus symptômatiques est le départ de la maison. Souvent, un voyage à l’étranger précède le départ définitif et fait office de préparation pour l’une et pour l’autre. Esther et Elizabeth ont toutes deux vu leurs filles entreprendre des voyages de plusieurs mois. «J’ai appris le lâcher prise. Elles ont leur vie», raconte Esther. «J’avais peur qu’une de mes filles ne revienne pas ou que cela retarde ses études, mais chacune de mes filles en est revenue grandie», continue Elizabeth.
Lorsque le «vrai» départ approche, il apparaît pourtant le plus souvent comme bénéfique malgré une certaine peine. «J’ai trouvé la prise d’indépendance positive dans une relation qui devenait de plus en plus conflictuelle. La distance a permis de renouer une relation plus vraie», raconte Elizabeth. «Ce qui m’a rapprochée de ma mère, c’est mon déménagement», confirme Cléa. L’aide pratique, les coups de fil lorsqu’elle se sent seule, le soutien, tout cela prend du relief pour la jeune femme. Lidia Zeller encourage à faire en sorte de «laisser la porte ouverte». En cas de coups durs, la fille appréciera de savoir qu’elle a toujours un refuge.

La relation mère/fille est faite de hauts et de bas mais recèle une richesse sans pareil. C’est aussi en s’appuyant sur Dieu que les mères ont appris à lâcher leur enfant : «Dieu a permis des coups durs qui m’ont rappelé que mes filles lui appartenaient. J’ai appris à lui faire confiance !», raconte Esther. Aimer sa fille, c’est lui laisser de l’espace, conclut Lidia Zeller. La laisser découvrir qui elle est tout en restant à ses côtés. ❤

Que dit la Bible de la relation mère/fille?
Les exemples de relation mère/fille sont peu nombreux dans la Bible, la «faute» à une dominante de la transmission du père vers le fils. Certains exemples sont plutôt à oublier, comme celui de Salomé et sa mère Hérodiade dans les Evangiles, ces deux femmes faisant équipe pour obtenir, avec succès, la tête de Jean-Baptiste. Mais d’autres apparaissent en filigrane et sont plus réjouissants!
Le jeune Timothée, poulain et compagnon de voyage de Paul, a hérité d’une foi sincère qui a d’abord habité Loïs, sa grande-mère puis Eunice, sa mère. Une belle transmission.
Le récit qui décrit le mieux ce lien concerne en fait une belle mère et sa belle-fille, Naomi et Ruth. Si elles ne sont pas liées par le sang, elles le sont par le cœur.

Amour matriciel
Mais la Bible donne une place importante à la mère, à ses qualités et à ce qu’elle peut transmettre. Dans la traduction Chouraqui, il est même question d’un Dieu qui «matricie»: dans le récit biblique, Dieu a aussi des qualités typiquement maternelles. Le terme hébreu en question signifie «entrailles» et «amour». Et le verset d’Esaïe 49,10 dit: «Ils ne seront ni affamés ni assoiffés. La canicule et le soleil ne les frapperont pas. Oui, celui qui les matricie les dirige; il les conduit sur les culminations d’eaux.»
L’une des spécificités de l’amour maternel est cette notion de «matrice»: la mère est là pour offrir un nid. Avec la notion de matrice vient celle du sang: le sang qui nourrit le bébé, qui donne la vie. On peut pousser le parallélisme jusqu’à la Croix du Christ. Il est en tous les cas question d’un amour immense, dans ses «entrailles», que les mères peuvent ressentir et qu’elles tiennent tout simplement de Celui qui les a créées. ❤

Natacha Horton


Elles parlent de leur mère

«Réunies grâce à la foi» Isabelle, enseignante en arts plastiques, 33 ans Depuis aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai toujours eu une bonne relation avec ma maman. A l’entrée de l’adolescence, cependant, des événements difficiles ont perturbé cette bonne entente. Mon petit frère de six ans, handicapé, est décédé ainsi qu’une amie d’enfance, subitement. Cela a déclenché chez moi colère et rébellion vis-à-vis de Dieu et de mes parents. La relation avec ma mère en a été affectée : la confiance avait disparu et les altercations sont devenues fréquentes. Cette situation a duré jusqu’au jour où je me suis tournée vers Jésus et où je lui ai remis ma vie, mes blessures et mes incompréhensions. Avec le temps, la relation s’est améliorée. Elle s’est faite plus profonde et plus forte. On se comprenait d’un coup d’œil. Je l’appelais depuis l’école pour prier car je savais qu’elle le ferait sur-le-champ. Dans mes différents problèmes de santé, elle était là au pied de mon lit en prières. Aujourd’hui, je suis mariée ; j’ai trois enfants et maman est la maîtresse particulière de mon fils aîné, qui est atteint de troubles autistiques. Si aujourd’hui, je peux être maman moi-même avec autant de patience, c’est parce que j’ai vu ma maman à l’œuvre jour après jour. «A une époque, c’était une copine» Katalin, infirmière, 35 ans Je vis une relation sereine avec ma maman. Même si on ne se voit pas chaque semaine et si chacune a sa vie, nous savons que nous pouvons compter l’une sur l’autre. Elle garde volontiers ses petits-enfants et elle sait que sa fille est là pour elle. Cette relation m’apporte de l’amour et de la compréhension, mais ce n’est pas une relation comme celle qui peut exister entre deux amies. On ne parle pas de vie privée ou intime. Au contraire, à l’adolescence, j’avais tendance à la considérer comme une copine. Elle se confiait volontiers à moi. Certaines de ses confidences me mettaient même un peu mal à l’aise. Devenue adulte, j’ai ressenti le besoin de sortir de cette «fusion». Je devenais une femme et je devais m’attacher à mon mari. Nous en avons parlé et nous avons coupé le cordon. Aujourd’hui, j’ai deux enfants et j’apprécie de parler avec ma mère d’éducation. Je lui demande souvent ses conseils. Sandrine Roulet «J’ai appris à mettre des limites» Rachel, orthoptiste, 29 ans J’ai grandi dans une famille monoparentale, où la foi était présente. J’ai toujours considéré ma mère comme une femme de prière, capable de se lever en pleine nuit pour prier. Toutefois, le fait d’être seule pour m’élever a exacerbé son côté mère-poule. Après avoir pris mon baptême à l’âge de dix-huit ans, j’ai quitté le domicile familial pour mes études. Petit à petit, Dieu m’a montré ce que je devais changer dans mon attitude avec ma mère et ce que je pouvais me permettre de ne pas accepter. Tandis qu’il m’arrivait, plus jeune, de m’emporter et de rompre la communication lors de nos désaccords, ma maturité spirituelle m’a permis de mieux gérer nos différences et de lui signifier quand j’estimais que son attitude frisait pour moi l’ingérence. Carole Ribo

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