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Les leçons d’une vie

L’écrivain d’origine grecque Hélène Guisan-Démétriadès a écrit plusieurs ouvrages et en a traduit d’autres. Arrivée en Suisse en 1922, elle a épousé l’homme d’Etat vaudois Louis Guisan. La nonagénaire se confie sur son parcours de foi, sur la féminité et la maternité et sur ses temps privilégiés avec Dieu
François Sergy

«Qui n’a pas son Titanic?», écrivez-vous. Quel a été votre Titanic et comment en avez-vous réchappé?
J’en ai eu plusieurs dans ma vie. Un Titanic douloureux a été un amour pour un homme marié qui m’aimait aussi. Bien que n’ayant pas encore la foi, ma conscience s’est révoltée et m’a conduite à renoncer à cet amour. Le détachement a tout de même duré des années et s’est soldé par une sérieuse maladie nerveuse. Mais, à travers ce déchirement, j’ai trouvé une véritable foi en Dieu, une foi qui m’habite jusqu’à aujourd’hui.

Vous avez aussi perdu un fils.
Oui, mon fils cadet, un garçon extrêmement doué mais rêveur, indécis de caractère. Et ce n’est que tardivement que nous nous sommes rendu compte qu’il avait des troubles mentaux. Le jour de sa mort, un médecin a tout fait pour le forcer à prendre ses médicaments. Il s’est tué avec son fusil de soldat suisse.

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En épousant Louis Guisan, vous êtes devenue «la femme de».
Oui, mais je dois dire qu’à l’époque, cela comportait peu de charges, peu de représentation. Les femmes n’avaient même pas le droit de vote! Elles l’ont acquis par la suite. C’est surtout l’absence de mon mari qui me pesait. Il était pris à peu près tous les week-ends. J’avais la charge de trois, puis quatre enfants, de sorte que cela m’a empêchée d’avoir une activité personnelle, surtout dans le domaine intellectuel qui avait été le mien avant de me marier.
–CREDIT–
Votre mari a même eu cette phrase terrible un soir d’intense fébrilité politique: «Toi, tu n’existes pas».
Oui, mais quarante ans plus tard, il ne cessait de me dire sa reconnaissance de mes soins. Il était alors assez handicapé. Un jour, je lui dis: «Mais pourquoi est-ce que tu me dis merci? Je n’ai rien fait pour toi aujourd’hui!». Il me répondit: «Je te dis merci parce que tu existes.»

Comment en êtes-vous arrivée à concevoir un statut pour la femme qui ne soit pas simple copie du modèle masculin?

J’ai eu beaucoup de peine à accepter d’être femme quand j’étais adolescente. Je voyais la liberté dont jouissaient mes frères. J’étais éduquée par un père qui appartenait à un autre continent et à un autre temps, parce qu’il était âgé. Je me révoltais donc et je regrettais vraiment de ne pas être un homme. Les conversations des garçons me semblaient plus intéressantes, plus intellectuelles que celles des femmes, qui tournaient souvent autour de personnes.

Cependant, j’ajoute que les femmes ont été très importantes dans ma vie. J’ai toujours eu le cadeau d’avoir des femmes qui m’ont aidée, guidée, conduite, accompagnée tout au long de ma vie et jusque dans ma vieillesse. Curieusement, ce n’est pas le mariage ni la maternité qui m’ont réintégrée pleinement dans ma féminité. C’était la découverte de ces femmes qui n’étaient pas des intellectuelles, mais qui étaient beaucoup plus avancées que moi dans la vie en Dieu. C’est la réconciliation avec moi-même qui m’a réintégré dans mon rôle de femme et qui m’a fait voir toute la richesse de la vie d’une femme. L’important n’était plus d’avoir un métier ou d’être au foyer mais d’être conduite par Dieu dans un chemin qui pouvait être le chemin de la profession ou le chemin de la maternité.

Marie, la mère de Jésus, est pour vous le modèle du «oui» à Dieu.
En effet, elle a dit «oui» à Dieu alors qu’elle pouvait être répudiée par son mari, lapidée, honnie, exclue, perdre sa vie de femme heureuse et de mère. Marie est la première femme absolument libre de l’histoire humaine. Elle est libérée de la famille, de la société, du mari, des coutumes de l’époque.

Qu’est-ce qu’une bonne mère?
Je ne le sais pas encore! C’est une mère qui cherche dans l’écoute de Dieu ce qui est bon pour son enfant et ce qu’elle doit lui transmettre. J’ai trop voulu donner à mes enfants ce que j’avais trouvé. Je pense qu’ils doivent trouver leur propre chemin. Et si on peut leur donner la foi, c’est ce qu’il y a d’essentiel. Mais Marie n’a jamais agi comme si son enfant lui appartenait.

Alors, bienheureuse Marie?
Oui, mais elle a beaucoup souffert. Il y a une part de souffrance dans la maternité, c’est certain. Pour moi, ce qui a été une vraie source de souffrance a été de perdre mon fils, d’avoir été tellement angoissée, de n’avoir pas su comment l’accompagner. Le fait est que l’on vit à travers ses enfants et que l’on ressent très fortement tout ce qui leur arrive. Et c’est ainsi qu’on vit plusieurs vies à travers plusieurs enfants. Cela peut être à la fois source de joie et source de souffrance.

Vous commencez chacune de vos journées par un temps de méditation. Comment cela se passe-t-il?
Je prends l’ascenseur! C’est-à-dire que je lis des textes des Evangiles, de l’Ancien Testament ou d’autres livres d’essence spirituelle. Puis je prie. Je demande à Dieu quelle est sa volonté pour moi. J’examine et lui remets ce que j’ai fait la veille – peut-être y a-t-il quelque chose à revoir ou à réparer. Enfin, je demande à Dieu de m’indiquer ce que je dois faire pour les jours qui viennent. Il s’agit là d’écouter deux fois plus qu’on ne parle. Et il y a aussi naturellement la prière d’intercession. Elle pénètre au cœur de l’autre par le Saint-Esprit, alors que les conseils restent extérieurs. Prier, c’est entrer dans la vision de Dieu pour chaque être humain. Elle n’est pas l’alibi de l’impuissance mais l’action essentielle.

En somme, vous vous êtes accomplie en Dieu?
Oui, j’ai trouvé en Dieu la joie de vivre et surtout, la sécurité de quelqu’un qui est accompagné et conduit. Je n’ai jamais ou rarement le sentiment d’être seule. J’ai toujours le sentiment de pouvoir recourir à quelqu’un qui me dira quel est le pas suivant, pas beaucoup plus loin, mais le pas suivant.

Propos recueillis par François Sergy. Partenariat avec Radio Réveil.

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