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La vue, un regard intérieur

© Alliance Presse
Qui se souvient de «L’Agrandi», premier journal pour malvoyants, incontournable des salles d’attente de médecins dans les années 90 ? «L’Agrandi», c’était elle, Olga Faure-Olory, petite femme souriante à la vitalité si contagieuse qu’on oublie son handicap. Olga a une conviction, soufflée par Dieu et par l’expérience : on peut toujours apprendre à mieux voir. Car «le monde n’est que perception ». Interview

Vous êtes très optimiste. Est-ce votre nature ?
Oui. Je suis foncièrement optimiste. A six ans je me retrouve malvoyante, peut-être suite au choc provoqué par la disparition brutale de mon père, peut-être par allergie à un médicament. Le mystère demeure. Il me faut m’en sortir coûte que coûte. Je n’ai pas le choix. Je passe du statut de petite fille choyée à celui de pensionnaire malvoyante. A cela s’ajoutent les problèmes classiques : se déplacer, se faire comprendre, etc. Je prie intuitivement. Les médecins me promettent le noir total pour mes dix ans. J’en ai quarante-quatre aujourd’hui. Je prie toujours le Notre-Père, la prière qui m’a accompagnée jusqu’ici.

Etes-vous engagée dans l’Eglise ?
Mon engagement est dans mes livres ; dans ce que je peux produire par l’écriture pour aider mon prochain. Je suis convaincue d’avoir un message à délivrer : la vie ne s’arrête pas avec la perte de la vue. Je ne fais pas de prosélytisme. A ceux qui ne croient pas en Jésus, je dis que l’espoir est alors de croire en soi. La vie spirituelle est le meilleur soutien. Être malvoyant, c’est subir des désagréments que Dieu peut aider à surmonter. Depuis toujours, je me sens aidée, mystérieusement guidée. Dieu se substitue à ma vue. Les médecins trouvent mon cas à peine croyable. Dieu s’est toujours manifesté à moi dans les moments de doutes. Un signe me rappelle alors que nous venons de l’infiniment bon et que rien de mauvais ne peut arriver. La foi conserve mon optimisme intact.

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Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui perd la vue ?
De ne pas se démoraliser. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais il faut accepter sa peine et cette situation nouvelle. Il faut pleurer pour remonter plus vite. Il faut s’accepter car le regard des autres vient toujours de l’acceptation que l’on a de soi-même. Les malvoyants qui ne font pas cette démarche peuvent vite se faire détester par leur entourage. C’est classique. Certains font vivre l’enfer à leur famille et rejettent inconsciemment la faute sur l’autre. Il n’y a pas de science exacte concernant la vue. Les médecins peuvent se tromper. Surtout dans ce domaine.

Parlez-nous de cette méthode qui permet de «voir autrement».
La vue n’est pas simplement physiologique. C’est un regard. Un regard intérieur. Je ne parle pas simplement de «ressenti» ou d’intuition. Un malvoyant qui s’accepte et qui veut voir plus loin et connaître l’autre comprend, à force de pratique, ce qui se passe en face de lui. Il construit un puzzle. Chaque minute, chaque instant. C’est en passant par des centres de rééducation «basse vision» que l’on apprend à exploiter son potentiel et que le processus se met en place. Mieux voir même si l’on voit très mal, c’est déjà développer son regard.

Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ?
On acquiert le désir d’aller vers l’autre. On n’a plus peur de sortir dans la rue. On apprend la locomotion. On apprend à se guider de manière différente le jour et le soir. On s’affranchit du regard de l’autre. On accepte enfin d’utiliser des éléments de confort comme les loupes de vision.

Avez-vous déjà prié pour retrouver totalement la vue ?
Quand je dis que je suis chrétienne, on me demande : «Et Jésus ne guérit pas les aveugles ?». Je ne vois pas les choses comme cela. Si Dieu a voulu que je contracte ce handicap et que je sois heureuse avec, c’est certainement pour m’apprendre à voir au-delà de la vision naturelle. Lorsque je regarde une personne, je ne m’arrête pas aux détails de son visage. Je n’en ai pas la capacité. Je ne vis pas dans l’esthétisme. Je perçois surtout son état d’être. Elle me transmet immédiatement ce qui l’anime. Ce «flou forcé» me pousse à porter un regard infiniment doux sur l’autre, qui qu’il soit. J’ai un regard de compassion naturel que je n’aurais peut-être pas si je voyais clair. Attention, je ne dis pas qu’être malvoyant est mieux que de bien voir ! Je dis juste que ce n’est plus une fatalité. «Dieu a voulu que je sois heureuse avec ce handicap»

Où en sont vos projets ?
«L’Agrandi» a fermé boutique il y a deux ans, faute de financement. Il a vécu sept belles années. Nous avions six mille abonnés et plus de dix mille lecteurs. Il passait de main en main dans les salles d’attente des médecins, des dentistes, opticiens et ophtalmos. Il était devenu très lu en maison de retraite. Aujourd’hui, je souhaite que mes livres, également imprimés en gros caractères, puissent aider les malvoyants de la même façon. Je suis toujours auteur et interprète. Je chante beaucoup. Je recherche un emploi stable. J’ai des projets en cours. Tous visent à améliorer la vie des personnes malvoyantes.

Et la rue de Rivoli, à Paris ?
Grâce à Dieu, j’ai remporté la victoire ! La traversée était dangereuse pour les malvoyants. La rue est enfin équipée de feux rouges sonores. Par ailleurs, j’ai été primée par la Ville pour cette initiative !
Propos recueillis par Céline Schmink

SpirituElles

Article tiré du numéro SpirituElles 3-09 – Septembre-Novembre

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